Gestion de conflit dans l’équipe gouvernance cellulaire

Nous sommes une équipe de bénévoles impliqués dans la gouvernance cellulaire. Notre raison d’être ? Expérimenter, améliorer et diffuser cette démarche qui permet à chaque collectif de créer sa propre gouvernance, partagée ou non, pour agir collectivement avec efficacité et humanisme. Nous avons différents processus qui nous permettent de fonctionner au quotidien. Cela ne nous a pas empêché d’avoir à gérer un conflit interpersonnel difficile dont nous tirons les enseignements aujourd’hui.

Phase 0, Le déclencheur : La réaffectation d’un rôle déclenche le conflit interpersonnel

 

Le déclencheur du conflit interpersonnel

C’est la réaffectation d’un rôle qui a mis le feu aux poudres. En tant que rôle lead de la structure, j’ai choisi cette solution après que le collectif se soit réuni et ait nommé des besoins de changements dans une de nos équipes. Nous étions en difficulté relationnelle, le lead de cette équipe et moi. Notre coopération m’était difficile, je l’évitais. Tout cela a motivé ma décision de réaffectation. L’ancien lead de l’équipe a vécu de l’injustice et de la violence dans cette décision, a été vexé et a ressenti de la colère.

Facteur aggravant le conflit :

Je n’ai pas su expliquer les raisons relationnelles de cette réaffectation. Je me suis contenté d’expliquer ce qui avait été dit en collectif. Cela a clairement participé à augmenter la violence ressentie.

 

Phase 1, Le déversoir : la personne déverse des critiques ouvertement

Colère et déversoir dans un conflit interpersonnel

La réaction de la personne concernée a été un déversement de critiques par mail à tous. Ces critiques concernaient le décalage entre notre intention d’humanisme et ce que cette action lui faisait vivre. Ma personne était aussi pointée avec des jugements et prêts d’intention.
La demande que le collectif annule la décision et remplace le rôle lead de l’équipe complétait cette expression. Ce mail a déclenché des émotions et des réactions dans le collectif avec des conversations et la tentation de prendre parti.
De mon coté, je n’étais pas en reste. J’ai été fortement impacté par ce mail. Aujourd’hui, je considère ma réaction affective excessive. Je n’étais pas capable de simplement entendre l’émotion derrière les mots. Je n’ai pas su exprimer ma colère. J’ai répondu rationnellement en rappelant mon rôle, ce qui n’a rien arrangé. 

Lecture du conflit : cette phase est souvent celle qui est crainte par les équipes dans la gestion des conflits. Il y a une peur d’ouvrir « la boîte de Pandore » et de ne pas savoir quoi faire de ce qui en sort. C’est une peur justifiée, il est possible que des personnes se bloquent dans cette phase et ne la dépassent pas. Il y a également la peur de l’intensité, qui peut déclencher de la violence, peur tout aussi réaliste.

 

Conseil Gouvernance Cellulaire : éviter d’en parler peut facilement créer des rancœurs qui perturberont en profondeur la relation. La pacification prématurée des conflits peut abîmer les relations.
A chaque situation de crispation relationnelle se présente le choix de plonger ou d’éviter le conflit. Quand le choix le plus pertinent semble l’évitement, notre conseil est de rester attentif aux conséquences sur l’atmosphère d’équipe et d’oser aborder la difficulté si des crispations gênantes s’installent.
Notre conseil est également d’assumer l’intensité de cette phase. Prenons l’exemple du rapport du 5 octobre sur les abus sexuels dans l’église. La première phase est le temps pour entendre les victimes et stopper les criminels. Un temps où colère, détresse et honte peuvent enfin circuler. C’est un temps qui permettra de préparer la phase suivante et qui doit se vivre entièrement.

 

Phase 2, La rencontre : un temps collectif pour que chaque personne puisse exprimer son vécu et entendre celui des autres

la rencontre collective dans le conflit interpersonnelNous avons une équipe en charge de prendre soin du collectif. Celle-ci a pris la mesure de l’émotion que nous traversions et s’est réunie pour choisir un mode d’action. Leur volonté était de ne pas prendre parti tout en agissant au profit du collectif. Ils ont organisé un temps de rencontre qui a permis à chaque personne d’exprimer ce qu’elle avait vécu en traversant ces événements.

Lecture du conflit : Le choix de l’équipe ‘soin du collectif’ a été de se centrer exclusivement sur l’espace relation. Entendre chaque personne exprimer son ressenti a permis de recréer le début d’un lien. Si l’équipe avait mélangé ce temps avec l’espace sens (les valeurs profondes) ou l’espace contrat (les prérogatives de chacun), cela aurait sans doute empêché de vraiment se rencontrer humainement.

Conseil Gouvernance Cellulaire : Cette phase écoute est la plus délicate humainement et nécessite un cadre de sécurité solide. La base est d’éviter les critiques personnelles et les interprétations pour se centrer sur exprimer quels événements ont déclenché quels vécus.

 

Phase 3, la régulation du conflit interpersonnel : un temps pour que les deux protagonistes s’accordent sur comment fonctionner à l’avenir

mediation dans un conflit interpersonnelNous avons un rôle protection en charge de sécuriser le collectif en accompagnant les personnes ayant des comportements qui gênent. Il est là pour les aider à comprendre leur attitude, pour proposer de pistes permettant de ne plus déstabiliser le groupe et pour que les accords soient respectés ou discutés.
Ce rôle a insisté pour qu’une régulation ait lieu entre nous. Nous avons organisé ce temps et avons choisi un rôle facilitation pour nous accompagner. Le processus utilisé était le « marcher-parler » (slide 52 de la constitution). Cette phase nous a aidés à poser les conditions du début d’une nouvelle relation.

Lecture du conflit : Un temps de régulation interpersonnelle ne peut avoir lieu que lorsque les différents protagonistes sont d’accord pour participer. Le fait que le rôle protection le demande a été aidant pour motiver chacun dans cet engagement.

Conseil Gouvernance Cellulaire : Le processus marcher-parler a notre préférence. Chacun parle 20’ pendant que l’autre est en silence. Après cette phase, les personnes échangent sur ce qu’elles retiennent et sur les actions de restauration.

Il est particulièrement simple à animer, donc adapté à des situations à fortes émotions. Le temps long d’expression aide à calmer les égos défensifs et favorise la rencontre humaine.

 

Phase 4, reconstruction collective :un temps collectif pour tirer les apprentissages de ce conflit interpersonnel et décider d’ajustements

Un temps de positionnement éthique (slide 18 de la constitution) a été animé pour que chacun puisse exprimer comment il souhaitait que les rôles soient affectés dans notre équipe et pour faire une proposition à la cellule ancrage. Etonnement, l’équipe préférait maintenir la façon de faire actuelle, en laissant cette prérogative d’affectation au rôle lead.
Cette reconstruction semble suffisante. Une récente réunion a montré que la déstabilisation majeure est derrière nous et n’est plus un sujet premier.

Lecture du conflit : Il est bénéfique de dépasser les certitudes ou les combats idéologiques (comme par exemple se battre pour savoir si les rôles doivent être affectés par le lead, le collectif, ou sur volontariat) pour aller à la rencontre de la préférence du collectif. Ainsi, plutôt que de copier des modèles, l’équipe peut réfléchir à ce qu’elle a envie d’essayer. Demander l’avis du collectif ne retire pas à la cellule ancrage son rôle de décider. Elle décidera en connaissance des motivations de l’équipe.

Conseil Gouvernance Cellulaire : Assumer ses responsabilités et ne pas écouter ses seules préférences est sans doute un des exercices les plus délicats et les plus efficaces pour créer les conditions à la fois de l’efficacité et de l’humanisme dans une équipe.

 

Apprentissages : l’utilité de naviguer dans les 3 espaces de la Gouvernance Cellulaire dans un conflit et de composer avec le temps

Cette traversée du conflit nous montre l’importance de :
• l’espace sens (volonté de créer un environnement sain et capacitant),
• l’espace relation (importance de permettre l’expression de chacun en authenticité) et
• l’espace contrat (s’être mis d’accord sur des fonctionnements et les questionner).
Le temps joue un rôle d’amortisseur et permet une lente cicatrisation une fois que le processus de restauration est engagé.
Le temps est aussi une contrainte car organiser toutes ces phases de rencontre est chronophage et pas toujours possible ni souhaité par les membres.

 

Le conflit fait partie de notre humanité

Les conflits peuvent apparaître malgré :
• La bonne volonté (ici des bénévoles réunis pour favoriser des comportements sains),
• L’attention à nos égos (nous sommes plusieurs à être formés sur les comportements humains) et
• Les processus précis (nous utilisons une constitution écrite)
Notre humanité se loge ici d’une manière désagréable mais vivable. Accepter les conflits et les traverser en s’aidant les uns les autres est sans doute la meilleure option et peut être riche d’apprentissages, comme cela a été le cas pour nous ici.